Travail, résilience, remise en question, écoute du marché, “test and learn”, leadership… Tous ces mots semblent tout droit sortis d’une formation sur l’entrepreneuriat ! Alors ce n’est pas par hasard si un entrepreneur à succès les utilise quand il décrit, avec beaucoup d’humilité, son parcours; même s’il n’a pas suivi de formation pour devenir chef d’entreprise.
J’ai découvert le restaurant “Ginger” lors d’un passage à La Rochelle en tant que touriste. Je l’ai tellement apprécié que c’est devenu mon restaurant préféré, celui dans lequel nous avons fêté les 4 ans de ma fille, celui dans lequel j’ai fêté la signature de mon CDI rochelais et bien d’autres occasions encore !
Lorsque les restaurants ont dû fermer pendant la période COVID, c’est vers le chef Carlos Foito que je me suis tournée pour des occasions particulières (Saint Valentin, anniversaire…). Il m’avait dit quelque chose qui m’avait marquée à l’époque “je ne fais pas ce métier pour l’argent mais par passion”. J’appréciais la cuisine, les lieux et j’admirais dorénavant le chef !
Lorsque j’ai démarré cette série d’articles, j’avais très envie de pouvoir interviewer Carlos, alors j’ai sauté sur l’occasion lorsqu’un reportage sur France 3 a été diffusé pour lui demander une interview.
Le chef m’a reçu au Koya, son deuxième restaurant rochelais, presque tout juste deux ans après son ouverture.
Lors de notre échange j’ai été frappée par la justesse de ses propos par rapport à l’entrepreneuriat en général, la façon dont il voit les choses, son rapport à son équipe, à la création.
C’est également une formidable leçon de travail et de résilience, tout est possible, mais il faut s’en donner les moyens. Se former, investir sur soi, écouter les signaux, se remettre en question etc…
En effet, lorsqu’à 30 ans Carlos a intégré l’Ecole Lenôtre, il a travaillé dans de prestigieuses maisons, l’Atelier de Joël Robuchon (deux étoiles Michelin), le Burgundy (Palace parisien, 1 étoile Michelin), différents palaces suisses. J’étais curieuse de savoir comment il avait pu intégrer d’emblée des restaurants avec autant d’envergure.
Sa réponse peut paraître très simple, et pourtant elle est la clé : le travail.
Carlos a choisi une école de cuisine haut de gamme pour apprendre le plus possible : la rigueur, la discipline, la précision, la technique, les règles. L’apprentissage de la cuisine gastronomique permet d’apprendre sur chaque détail, en cuisine, et au service.
Il arrivait le premier, repartait le dernier. Il a demandé à travailler, même gratuitement dès qu’il avait quelques heures de libre. Cette soif d’apprendre lui permet de progresser rapidement, d’être recommandé, et d’intégrer le sérail de la haute gastronomie française.
Avant même de savoir ce qui l’attendait pour la suite, Carlos a fait le choix d’investir sur la qualité de sa formation, pour apprendre plus, plus vite, et mieux.
En restant ouvert aux rencontres et aux opportunités, sans avoir peur de l’inconnu ou de la concurrence, il a rencontré ceux qui allaient devenir ses futurs associés.
Aujourd’hui à la tête de plus de 70 personnes, Carlos n’a jamais suivi de formation de management, il a appris sur le tas, en voyant faire les autres (en prenant ce qui lui plait et en laissant de côté ce qui ne lui convient pas). Il a réussi à fédérer autour de lui une équipe fidèle, en cuisine comme en salle, preuve qu’un management à l’écoute, dans le respect des personnes peut fonctionner en restauration, bien loin des images que l’on peut avoir des chefs qui hurlent sur leurs équipes et les terrorisent.
J’espère que la lecture de cette interview vous inspirera autant que moi !
Grâce à un reportage de France 3 très récent, j’ai découvert que rien ne te destinait à la cuisine. Pour autant, le jour où tu as décidé de faire cette reconversion, tu t’es lancé à fond et tu as fait des maisons plus prestigieuses les unes que les autres. A ce moment-là, comment tu imaginais ta future vie de chef ?
Tout était possible pour moi mais je n’imaginais pas avoir mon restaurant aussi vite. Je n’imaginais pas après quelques années à La Rochelle avoir déjà tout ça. Un restaurant par an pratiquement, je ne l’imaginais pas, ça va très vite.
La Charente Maritime n’est pas le département le plus riche en restaurants étoilés, les opportunités de poursuivre une carrière en palaces plus compliquée, qu’est ce que tu avais en tête en arrivant ?
Avec mes amis on avait le souhait de travailler ensemble un jour, on s’était mis d’accord pour le faire. Mon ami Philippe (Philippe Khamvene, chef d’Iseo, ndlr) a un style de cuisine asiatique, thaïlandaise, française, j’adore ! Je me suis dit qu’avec lui je pouvais aussi apprendre de nouvelles choses et on peut apporter tous les deux quelque chose, même si on travaille pas tous les deux directement en cuisine ensemble.
Vous continuez à faire des séances de travail ensemble pour vos restaurants respectifs ?
Non, on parle, on mange ensemble, on parle des produits, des nouveaux produits qu’on trouve. On a travaillé un peu à Amore (Amore by Iseo qui a ouvert en 2022 ndlr) ensemble pour l’ouverture. Mais maintenant on est chacun dans notre cuisine.
Si je ne me trompe pas, le Ginger est ton premier bébé rochelais, comment as-tu as décidé de te lancer dans l’aventure d’avoir ton propre restaurant ? Finalement être chef et avoir son propre restaurant c’est presque deux métiers différents.
Il n’y a pas que la cuisine, il faut être un gestionnaire aussi. Ca c’est important avant, je n’étais pas dans le métier, j’ai fait des études en gestion, ça fait la différence entre un cuisinier qui ne fait que de la cuisine et quelqu’un qui a travaillé pour une grosse boite comme Nestlé. Je ne suis pas entré à l’école de cuisine à 15 ans, avant j’ai travaillé pendant longtemps, j’ai eu des formations en gestion, en organisation, sur le marketing, ça aide aussi. J’ai été client avant d’être patron de mon restaurant, j’ai pu aussi être de l’autre côté, et ça aide d’avoir la vision client.
Aujourd’hui tu es le chef exécutif de 3 restaurants, tous meilleurs les uns que les autres. D’ailleurs les rochelais peuvent te voir passer d’un restaurant à l’autre en cours de journée. C’est important pour toi de ne délaisser aucune adresse ?
Je suis obligé de garder un œil, les jours où je ne suis pas là , ça se passe différemment de si j’avais fait moi. Même avec une équipe de confiance qui fait son maximum pour suivre ce que l’on a défini ensemble, ils ne peuvent pas avoir l’œil partout et tout le temps. Je ne me mets pas sur les plannings pour rester libre mais j’ai besoin de passer dans tous mes restaurants pour voir que tout va bien. C’est mon image et ma réputation aussi, tu peux monter vite mais tu peux redescendre aussi vite. Et là c’est mort après ! On dit souvent “si tu veux bien faire fais toi même”, c’est pas possible donc il faut garder le contrôle, même quand on a confiance.
Tu viens de reprendre les 4 Sergents, un magnifique restaurant, bastion de la cuisine traditionnelle française, comment as-tu élaboré la carte ?
La carte a déjà changé 3 fois. Au début, avant d’ouvrir je voulais faire bistrot le midi et semi-gastro le soir mais je ne connaissais pas la cuisine, mon outil de travail. J’ai créé ma carte du soir et quand je suis arrivé j’ai vu tout de suite que ça n’allait pas marcher. La cuisine était très petite, très vieille, il n’y avait qu’un four, pas de friteuse. Le chaud et le garde manger étaient ensemble, les plats arrivaient froid, les clients retournaient les assiettes en cuisine, c’était la catastrophe.
J’ai changé la carte, j’ai acheté des cocottes Staub, mais ça restait un peu traditionnel aussi et ce n’était pas mon style de cuisine.
On a fermé en mars, on a fait des travaux. j’ai revu l’organisation, le garde manger, mis des lames chauffantes etc… et après je me suis dit que ça ne me plaisait pas le style de cuisine que je proposais avant les travaux. Quand ça ne te plait pas ça se ressent dans l’assiette, si tu n’as pas de plaisir à cuisiner tu ne peux pas transmettre du plaisir à ton client. Du coup j’ai changé mon style de cuisine, je suis revenu à une cuisine de fusion, de toutes les expériences que j’ai eues.
Je me sentais un peu le devoir de faire le style de cuisine du lieu, pour ne pas trop choquer les gens non plus. On savait que les anciens clients allaient peut-être moins aimer, mais ce n’est pas mon style de cuisine, et ce n’est pas grave.
Aujourd’hui tu es à la tête de 70 personnes, comment tu t’organises pour garder du temps en cuisine, et en création?
Quelle équipe as-tu construit autour de toi ? En cuisine et en dehors ? C’est quoi une journée type pour toi ?
Mon associé, Jonathan Dumele, gère les équipes de salle, je gère l’équipe de la cuisine. J’ai des responsables pour chaque restaurant. C’est avec eux que je vois tout et que je passe les informations, et ils transmettent à leurs équipes. J’essaye de préserver leur crédibilité auprès des équipes et de ne pas passer au-dessus d’eux quand il y a quelque chose à redire.
Je fais des points avec mes responsables, on revoit tout ensemble. Avant de racheter les 4 Sergents c’était tous les lundis à 9h15, on faisait un contrôle d’hygiène, je revoyais tout et je notais tout ce qu’il fallait faire. Ensuite on faisait un RDV pour la salle, mon associé, moi, le responsable de cuisine et le responsable de la salle. Maintenant c’est compliqué d’avoir un jour fixe, donc on s’adapte. Avec Jonathan on avait aussi un jour fixe de RDV, maintenant ça peut changer en fonction de notre emploi du temps. On communique beaucoup, on fait du sport ensemble.
Le dimanche j’essaye de ne pas travailler mais mon téléphone est toujours allumé.
La période COVID a été compliquée pour beaucoup de restaurants, et pour autant ton développement n’a pas du tout été freiné, comment est ce que tu l’expliques ? Est ce que tu as gardé des enseignements de cette période ?
On a fait à emporter, j’ai beaucoup travaillé la rôtisserie (La Rôtisserie du Pré place du marché, ndlr).
C’était pas une si mauvaise période. On a beaucoup été aidés.
On a fait la proposition d’achat du Koya quand les restaurants étaient encore fermés.
Ca m’a permis de commencer à tester des plats du Koya à emporter au Ginger pour tester si ça plaisait aux gens, c’était pas mal.
A cette période là j’ai fait venir un chef, le bras droit de Gaston Acurio (chef péruvien très connu et réputé ndlr). On allait au marché le matin, on allait acheter du poisson et les légumes et après on allait au Ginger pour travailler. On a passé une semaine à travailler. Il me manquait des connaissances sur les produits péruviens. L’objectif c’était de cuisiner avec les produits qu’on trouve ici. La cuisine péruvienne est riche mais on voulait la faire avec les produits qu’on trouve à La Rochelle. Par exemple au Portugal j’adore les sardines ou les pousse-pieds, ici ce n’est pas pareil, ça n’a pas le même goût. Je ne peux pas faire la même cuisine au Pérou et à La Rochelle, il faut l’adapter à ce que l’on a sur place, à la saison.
Les gens ne veulent plus d’une cuisine avec des produits qui viennent d’on ne sait où.
Carlos, tu te définirais comme chef cuisinier ou comme entrepreneur ? (ou les deux?) et pourquoi ?
Les deux, chef de cuisine et gestionnaire.
Je suis cuisinier avant tout. J’adore imaginer et créer des recettes. Je l’imagine, puis je l’écris, on teste. Parfois ça ne marche pas.
Pour le Ginger je voulais une sauce chimichurri, je faisais les tests à la maison, pendant deux semaines. J’imaginais une émulsion légère mais je n’y arrivais pas, ça ne marchait pas.
Mon associé, Michel, venait tout le temps goûter et me disait “oublie Carlos, ça va pas le faire”. Mais j’ai réussi. A chaque fois que j’essaye d’ajouter quelque chose, je pèse, puis je note et je continue de tester. A chaque fois, on arrive toujours à la bonne recette.
A chaque fois qu’on fait une nouvelle recette, une entrée; un plat, tout le monde goûte. C’est important pour moi aussi de les inclure. Chacun donne des idées aussi, et on arrive à quelque chose !
Comment tu fais pour retrouver la motivation quand tu as un coup de mou?
J’ai des applications de cuisine, des comptes Instagram que je suis, je suis des formations. Je vais à des congrès de cuisiniers pour faire de nouvelles rencontres, apprendre de nouvelles techniques. ça permet d’échanger, le soir on va au restaurant ensemble, on échange des idées, on discute, on apprend de nouvelles choses. On se donne des conseils, on se montre nos cartes. Il ne faut pas rester fermé, bloqué par rapport aux autres cuisiniers.
Je n’ai pas peur de la concurrence, c’est bien quand tout le monde travaille bien. Avoir un bon restaurant à côté du mien c’est bien, ça apporte du monde, un jour ils vont à côté, un autre jour ils viendront manger chez moi.
Aujourd’hui quel est le principal frein à ton développement (s’il y en a un !)?
Ou plus concrètement, si tu avais une baguette magique, qu’est ce que tu changerais ?
On s’adapte aux circonstances de la vie. Je ne suis pas pessimiste, je m’adapte à tout. Je suis le plus grand critique de moi même. Il y a toujours meilleur que soit ailleurs. Les petits jeunes maintenant font des choses extraordinaires, je m’inspire d’eux.
Parfois certaines choses marchent moins bien, on s’adapte.
Il est arrivé qu’il y ait moins de monde ici au Koya, l’offre Bento ne fonctionnait pas très bien, on a modifié et on a fait évoluer la carte.
Mes associés qui ont La Boussole et Iséo ont un autre mode de fonctionnement, avec la même carte le midi et le soir, ça fonctionne bien donc on fait pareil.
Pour les changements, quand je rentre à la maison, je réfléchis, et en trois ou quatre jours on fait les modifications nécessaires. Ça ne sert à rien d’attendre.
Quand quelque chose ne marche pas, on se demande pourquoi on parle avec l’équipe. Ce sont les serveurs qui parlent avec les clients, qui ont les retours.
En fonction, il faut s’adapter. Pour ça il faut être ouvert à la critique et se remettre en question.
Si on remonte à quelques années en arrière, quel conseil aurais-tu aimé recevoir avant de te lancer ?
Mes associés ont plus d’expérience que moi. On parle beaucoup, chacun a ses expériences. c’est important d’écouter, même si chacun prend sa décision dans son restaurant. Les conseils sont les bienvenus au sein de notre association.
il ne faut pas avoir peur de s’associer, par contre il faut bien définir les règles au départ pour que tout se passe bien .Il faut trouver son équilibre, et ça ne se fait pas en deux jours.
Il faut être patient, croire en soi. souvent on croit quelque chose on essaye, ça ne marche pas tout de suite et on baisse les bras, mais non c’est un parcours.
S’il le faut je peux travailler 24h sur 24, mais il faut aussi savoir écouter, et renoncer ou s’accrocher.
C’est important d’avoir confiance en soi, il faut ça pour le transmettre aux autres et transmettre l’élan aux équipes.
Quel est le ou la chef française que tu admires le plus ?
Il y en a plusieurs. Peut-être Michel Roth avec qui j’ai travaillé avec beaucoup de plaisir, ou encore Pierre Gagnaire. J’ai été le premier portugais à travailler dans sa cuisine d’après lui ! J’ai beaucoup aimé aller au Pré Catelan aussi ! Je n’ai pas de préféré, je m’inspire de beaucoup de chefs!
Si au contraire on fait un saut dans le futur, qu’est ce que tu souhaites pour ton entreprise, comment tu l’imagines ? Qu’est ce que tu mets en place pour atteindre ces objectifs ?
Un quatrième, pourquoi pas Portugais.
Il pourrait y avoir de la place ici pour un restaurant tapas portugais…
Petite question pour la route, qu’est ce que tu aimes boire à l’apéro ?
Vin blanc ou un bon Gin Tonic
Et question bonus, quel est ton plat préféré ?
Un plat portuguais de riz avec des couteaux, c’est mon ami qui a passé toute la journée à le cuisiner pour moi la semaine dernière! C’est tellement bon et il le fait tellement bien !
Une réponse
Je l’aime bcp
Quelqu’un de très simple calme et tjrs a l’écoute des autres
Grand personnage et je lui souhaite le meilleur et une grande réussite !